Patrimoine littéraire lorraine

Le patrimoine littéraire en tant qu’espace d’identification, d’appropriation, s’avère être une ressource particulièrement intéressante pour le développement territorial et culturel de la Lorraine. Le patrimoine est, en effet, l’appellation que l’on peut donner à un ensemble de mémoire particulier qui peut prendre diverses formes d’un point de vue abstrait et d’un point de vue concret. Pour le géographe Guy Di Méo, le concept intègre « des objets de culture, des artefacts fabriqués ou puissamment transformés par la créativité par le travail humain, auxquels s’ajoutaient éventuellement des valeurs esthétiques et des fonctions symboliques ». 

DI MEO, Guy, 2008. « Processus de patrimonialisation et construction des territoires ». Colloque “Patrimoine et industrie en Poitou-Charentes : connaître pour valoriser”, Poitiers-Châtellerault, France. Geste éditions, p.87-109.

ades.cnrs.fr/

Il est intéressant de saisir les formes de la ressource littéraire en Lorraine, à travers une première recension en cours d’élaboration des lieux et des acteurs propres au tourisme littéraire (responsables de musées, associations, etc.) A partir de cette première exploration, autour de 3 formes spécifiques (maison d’écrivain, musée, balade littéraire), suivez-nous ainsi sur les routes lorraines…

 

Patrimoine littéraire lorrain
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La maison
Paul Verlaine
(Metz)

« Une sorte de reconnaissance délicate s’unit à une curiosité digne d’éloge pour nous intéresser à l’histoire privée de ceux dont nous admirons les ouvrages. Le lieu de leur naissance, leur éducation, leur caractère (…),  tout ce qui les concerne arrête l’attention de la postérité. Nous aimons à visiter leurs demeures (…). »

Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron 

Un lieu de mémoire, de consécration de l’auteur

mv2En 2011, une association de passionnés du poète maudit ouvre au public dans la maison natale de Paul Verlaine (2 rue Haute-Pierre à Metz), un vaste appartement bourgeois au 1° étage, un univers recomposé à la gloire de l’homme de lettres. La visite se décline autour de quatre pièces d’exposition et d’un accueil-librairie, en cherchant, dans une perspective chronologique, à retracer l’itinéraire biographique et poétique de l’auteur, à partir d’une collection d’objets qui constituent autant d’images de l’écrivain, de marqueurs identitaires. Une des pièces est consacrée aux origines lorraines du poète, à son enfance à Metz, son « berceau fatidique » et renvoie le public aux Souvenirs d’un Messin (1892), texte dans lequel Paul Verlaine exprime son attachement émotionnel aux lieux de sa jeunesse :

« Je revendique d’autant plus ma qualité de Lorrain et de Messin, que la Lorraine et Metz sont plus malheureux, plus douloureuses. Et, j’aime Metz et je m’en souviens quelque peu, ayant sept ans quand je la quittai pour Paris… ces vagues bribes de réminiscences puériles me sont plus précieuses, plus chères, que bien de plus sonores et fanfarons rappels de mémoire… ».

Extrait en écho à son long poème « l’Ode à Metz » repris en partie dans les Confessions qui distille les lieux emblématiques de la ville comme la citadelle, la porte Serpenoise ou encore la cathédrale :

« Metz aux campagnes magnifiques

Rivières aux ondes prolifiques

Coteaux boisés, vignes de feu

Cathédrale toute en volutes

Où le vent chante sur la flûte

Et qui lui répond par la Mutte

Cette grosse voix du Bon Dieu. »

A noter que les amoureux du « prince des poètes » peuvent consulter deux versions manuscrites de ce recueil à la médiathèque Verlaine de la ville, grâce à un fonds de référence international riche de nombreuses éditions originales et intégrant une grande variété de documents (autographes et manuscrits, textes publiés, traductions, images, musiques).

L’Association « les amis de Verlaine » revendique la nécessité de préserver par ce lieu le patrimoine littéraire afin de restituer « l’esprit d’un auteur, donner du charme, une ambiance à un espace chargé d’histoire, de faire revire un souvenir, une mémoire par l’écriture et invité au voyage… ». Cette maison d’écrivain devient un lieu de culte cherchant à offrir aux curieux, aux érudits et à toutes sortes de visiteurs une occasion de rencontrer l’œuvre de Paul Verlaine. Cette volonté de patrimonalisation de la littérature à partir d’un lieu s’inscrit dans la lignée de la Fédération des maisons d’écrivain et des patrimoines littéraires (http://www.litterature-lieux.com), créée en France en 1997, dans le but de mettre en réseau l’ensemble des lieux et des patrimoines littéraires (monuments, collections, archives, documentation), tout en assurant l’existence, la préservation et le rayonnement culturel des maisons d’écrivain. Ce groupement participe pleinement à une resacralisation de l’auteur, « à la recherche de l’aura perdu » selon l’ethnologue

Daniel Fabre. (litteraturelieux.com)

Un lieu de médiation

Si la maison Paul Verlaine constitue l’une des modalités de médiatisation de la littérature hors des textes, elle s’avère aussi un lieu de médiation culturelle autour de la figure de l’auteur. En effet, toute l’année, une panoplie d’activités littéraires est proposée au public sous diverses formes : lectures poétiques à plusieurs voix de texte évoquant la vie du poète, récitals, cabarets poétiques, expositions d’artistes en lien avec l’auteur, concours de poésie, hommage annuel devant le moment dédié à Verlaine à Metz (aux pieds de l’Esplanade) et à Paris (Jardin du Luxembourg).

 

Claire et Yvan Goll

Une muséalisation de l’écrivain

Le musée Musée Pierre-Noël à Saint-Dié-des-Vosges qui abrite le fond Claire et Yvan Goll offre au public une mise en scène de ce couple mythique d’intellectuels, écrivains et journalistes fréquentant Malraux, Cocteau, Aragon, Soupault, Léger, Chagall et bien d’autres artistes européens expressionnistes ou surréalistes. Yvan Goll (de son vrai nom Isaac Lang), né en 1891 d’une famille juive de Saint-Dié, placée à cette époque sous administration allemande, manie aussi bien le français que l’allemand, comme en atteste la publication à Metz de son premier recueil de poèmes (Lothringische Volkslieder) et a toujours revendiqué cette double culture. Poète expressionniste, mais aussi romancier, auteur de pièces de théâtre d’avant-garde, traducteur, éditeur, Yvan Goll offre avec Les élégies internationales (1915) et Le Nouvel Orphée (1923) des textes pacifistes et européens. Sa production poétique évoque aussi sa terre natale de la Lorraine à l’Alsace, à intersection des territoires, à travers plusieurs textes

Croix de Lorraine
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Croix de Lorraine

Coeur    de     France

France de mon Coeur

Tour   de  souffrance

Jardin    des    pleurs

J’ai  grimpé dans les pruniers de Lorraine

J’ai    pressé   les    olives   de   Provence

J’ai  cueilli  tes cerfeuils  et tes  verveines

France :  verger d’amour  et d’abondance

Tilleul    ou     chêne

Croix  de  tout  bois

Croix   de   Lorraine

Partout    tu     croîs

Aujourd’hui  tes  vieux  ormes   se  transforment  en  gibet

Tes champs de blé ne sont plus que des champs d’honneur

Derrière   tes    églises    s’agenouillent   tes   fils    fusillés

Une  fosse  commune  s’ouvre  sous  les  trèfles  en f leurs

Croix     de    France

France    en     Croix

If       de      Patience

Lys     de     la     Foi

Pain       de       peine

Vin             mystique

Porte     de    sagesse

Arche          d’alliance

Miroir    des    anges

Bûcher    de    Jeanne

Bûche     de       Noël

Ciel            tricolore

Rose    de     Chartres

Roseau de Strasbourg

Tour             d’amour

Amour   d e    France

France de mon coeur

Chant du soldat de France
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Extrait « Chant du soldat de France » 1940  (Inédit)

Quand sur la ligne Maginaire

La lune jaune m’inondait

Je rêvais qu’on faisait la guerre

Mais la mort me fichait la paix

Ainsi font font font

Les petites baïonnettes

Font trois coups

Et puis s’en vont

Ils sont venus de Barbarie

Derrière Metz près de Châlons

Jusqu’à Paris toute marrie

Et j’ai marché à reculons

Ainsi font font font

Les petites mitraillettes

Font cent coups

Et puis s’en vont

Pourquoi n’ai-je cueilli la rose

Avec l’épine de Strasbourg ?

L’escalier de l’apothéose

M’a fait descendre de la Tour

Extrait
« Strophes sur la Grande Misère de France »
New York (1940) inédit
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New York (1940) inédit

Quand sur la ligne Maginaire

Les rêveurs ivres de tambours

Cultivaient la rose trémière

Du Munster rose de Strasbourg

Derrière tes beaux rideaux d’orge

Où l’alouette aiguisait l’air

N’entendis-tu jamais les forges

De haine où travaillait Fafner ?

France: perverse paysanne

Séduite au coin du Bois Dormant

Le fils de tes amours rhénanes

Vient accomplir ton châtiment

Ils sont partis de Barbarie

Derrière Metz près de Châlons

Jusqu’à Paris toute marrie

Qui cavala vers Cavaillon

En 1921, il épouse Claire Aischmann-Studer, romancière, poétesse et journaliste allemande qui lègue à la Ville de Saint-Dié-des-Vosges en 1977 de nombreux manuscrits en français et divers objets constituant le fond Claire et Yvan Goll. Les manuscrits, livres et papiers personnels de l’écrivain sont conservés à la Médiathèque Victor Hugo, tandis que le musée Pierre Noël expose le mobilier, les œuvres d’art et affiches.
Outre les archives, la muséalisation de l’écrivain dont les œuvres sont traduites en seize langues, publiées sur trois continents, passe ici par la médiation de l’exposition qui offre aux visiteurs une « littérature exposée » (Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel, « introduction », Littérature,  n°160, 2010/4, p. 4.

cairn.info lors de trois grandes expositions :

Mary CUNY, Daniel GRANDIDIER, « Yvan Goll : un poète, sa femme, ses illustrateurs », Saint-Dié des Vosges, 1980, catalogue de l’exposition au Musée de Saint-Dié des Vosges 22 novembre – 14 décembre 1980.
« Yvan Goll : l’homme et l’écrivain dans son siècle », Musée de Saint-Dié des Vosges, 1991, catalogue de l’exposition réalisée par le Musée et la Médiathèque de Saint-Dié des Vosges.
« Yvan Goll : poète européen des cinq continents », Paris et Pont-à-Mousson, 1999, catalogue de l’exposition de St Dié des Vosges 2000, Berlin 2001.

Musée Pierre-Noël : Une collection remarquable 

Grâce au legs de Claire Goll, le musée de la Ville de Saint-Dié-des-Vosges conserve le mobilier de leur appartement à Paris, leurs objets personnels, des photographies. A cela, il faut ajouter une très belle collection d’art comprenant des peintures (Gleizes, Hélion), des dessins (Chagall, Clavé, Dali, Robert Delaunay, Lam, Larionov, Léger, Masson, Schöffer, Takal, Tanguy, Villon, Zao Wou-ki), des gravures (Arp, Brauner, Fini, Friedländer, Miró, Picasso, Survage), ainsi que d’autres objets ayants trait aux arts du spectacle (affiches des pièces de l’auteur, une partition musicale, des maquettes de décors et de costumes, des marionnettes de Java…).

Une fondation et un prix littéraire

En 1991, sous l’égide de la fondation de France, une fondation Yvan et Claire Goll a été créée avec comme objectif la promotion des œuvres du couple, tout en développant les activités de médiation (colloques, conférences, expositions) et d’édition.
En partenariat avec L’Alliance francophone, le Ministère de la culture et de la francophonie, la Fondation Yvan et Claire Goll attribue depuis 1994 le Prix international de poésie francophone Yvan-Goll (4 000 euros) lors du Marché de la Poésie, Place Saint-Sulpice à Paris.

Pour plus d’informations :
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Les Amis de la Fondation Yvan et Claire Goll.

Contact : Service de l’Action Culturelle – Hôtel de Ville – BP 275 – 88100 Saint-Dié-des-Vosges
Tél : 03.29.52.66.45.
shecht@ville-saintdie.fr

PROMENADE LITTÉRAIRE ET HISTORIQUE EN LORRAINE (TOUL)

Déambulations touloises

Créées et organisées par l’association Le Claveau (association culturelle de Toul ayant pour objectifs la mise en valeur, l’animation et la restauration de l’ancien Hôtel de Pimodan et l’ancien Hôpital du Saint-Esprit), les promenades littéraires et historiques de Toul existent depuis 2006. Elles ont lieu tous les ans pendant la période estivale, l’une se déroulant au mois de juillet et l’autre au mois d’août. Chaque année, un thème différent est traité : Emile Moselly, illustre auteur toulois, sorcellerie et diablerie à Toul, la Grande Guerre à Toul, évocation de la Renaissance à travers le vieux Toul, sur les traces des lieux de plaisir toulois ou encore les bourgeois de Toul aux XVIIème et XVIIIème siècles.

Thématiques littéraires

Une fois le thème de la promenade choisi, les quatre membres organisateurs de l’événement – André Rouyer, président de l’association Le Claveau et initiateur des promenades, Philippe Masson, historien, Josette Codron, ancienne professeur de Lettres et Jean-Pierre Ziegler, conteur des promenades – entament un long travail de recherches documentaires permettant de traiter le thème à partir de textes littéraires et d’archives toujours en lien avec la ville de Toul. Ville fortifiée riche par son histoire et son patrimoine, Toul se prête parfaitement à ce type d’activité culturelle mêlant références scientifiques et déambulation.

Patrimoine urbain accessible

D’une durée d’1h30 à 2h30, la promenade, gratuite et sans inscription, permet de découvrir la ville de Toul sous un angle nouveau et dans une configuration inédite, en dehors des sentiers battus par l’Office de Tourisme. Depuis le parvis de la cathédrale de Toul, de 50 à 80 personnes suivent chaque année un parcours riches d’explications historiques et ponctué d’extraits littéraires et d’anecdotes lus à voix haute dans les endroits de la ville choisis avec soin.

FONDS LITTÉRAIRES LORRAIN

Les fonds littéraires en Lorraine, l’exemple des fonds Verlaine, Kahn et Moselly

Les fonds littéraires de manuscrits connaissent aujourd’hui en France un regain d’intérêt et un engouement sans précédent. Témoins et garants de notre patrimoine littéraire, ils apparaissent comme des points d’ancrage autour desquels s’étoffe la vie littéraire.
Si les fonds littéraires couvrent l’ensemble du territoire, certains parmi les plus importants se concentrent en Île-de-France, alors que d’autres jalonnent la Lorraine comme le fonds Yvan Goll ou Maxime Alexandre à Saint-Dié-des-Vosges, au encore ceux que nous évoquons dans cet article, le fonds Paul Verlaine et le fonds Gustave Kahn à Metz et le fonds Émile Moselly à Nancy.

Surtout consultés dans le cadre de recherches et d’études par les chercheurs, les fonds littéraires sont néanmoins accessibles au grand public. Ils donnent à voir des manuscrits originaux, autographes, coupures de presse, photographies, fragments de correspondances et autres documents ayant trait à la vie de leurs auteur-e-s. Les établissements de conservation préservent et collectent ces documents dont l’acquisition s’effectue le plus souvent auprès de collectionneurs, donateurs, ou à l’occasion de ventes aux enchères.

Outre la conservation du patrimoine littéraire, les institutions de conservation s’attachent également à promouvoir et valoriser la figure de leurs auteur-e-s. Ainsi, de nombreux événements et expositions sont organisés afin d’attirer donateurs et passionnés. Les publications soutiennent également cette mission, c’est pourquoi d’innombrables revues naissent sous leur initiatives comme les revues, Parade sauvage ou Actes de colloques, consacrées à l’actualité des études rimbaldiennes, Revue Verlaine, proposées par la médiathéque Voyelle à Charleville-Mézières ou Les Carnets de Medamothi que l’on pourra retrouver à la médiathéque Verlaine à Metz.

Aux abords de la médiathéque, Paul Verlaine vous accompagne. Crédit photo : Karen Cayrat (2017)

Le fonds Paul Verlaine

(médiathèque Verlaine, Metz)

Les murs de la médiathèque Verlaine renferment l’un des trois plus importants fonds littéraires dédiés au poète messin.

Si certaines pièces de la collection du fonds Verlaine peuplent les différents secteurs de la médiathèque et sont en libre accès, d’autres, plus précieuses, se consultent exclusivement sur demande. Il faudra donc traverser la médiathèque pour emprunter les quelques marches hélicoïdales qui conduisent dans le secret de l’espace dévolu à la recherche. C’est dans cet antre aux rayonnages richement ornés, où flotte le doux parfum des livres, que travaille Nicolas Jourdan, assistant de conservation au département Patrimoines.

Nicolas Jourdan conte avec passion l’historique du fonds Verlaine, dont la constitution remonte à 1966 et qui à l’origine fut financé par les « dommages de guerre ». Ce bibliophile averti partage fort volontiers son savoir encyclopédique ainsi que de nombreuses anecdotes au détour des majestueuses reliures, pièces et coffrets qu’il manipule avec délice et émerveillement.

En effet, le fonds réunit une grande hétérogénéité de documents dont une myriade de manuscrits autographes, d’éditions illustrées et/ou originales, de traductions, ou encore de documents iconographiques.

Manuscrit autographe du poème Minuit de Paul Verlaine paru dans le recueil Chair (1896). Crédit photo : Karen Cayrat (2017)

Paul Verlaine, Lassitude, Poèmes Saturniens (1866). Crédit photo : Karen Cayrat (2017)

Mais il possède également des pièces rares et prestigieuses qui font depuis de nombreuses années sa renommée comme le manuscrit Barthou ou Gimpel, manuscrit autographe des Confessions acquis en 2004.

Paul Verlaine, Les Confessions (1895), Manuscrit Gimpel détail de la reliure, dorure sur tranche. Crédit photo : Karen Cayrat (2017)

Par ailleurs, des commandes réalisées auprès d’artistes contemporains, comme Jean Chauvelot ou Isabelle Cridlig, viennent enrichir le fonds, et lui apportent une certaine modernité qui s’inscrit directement en lien avec l’écriture, à la fois empreinte d’oralité et de musicalité, du poète.

Comme le précise Nicolas Jourdan, le fonds Verlaine s’articule autour de trois réserves où se conjuguent des critères, thermiques, hygrométriques ou liés à la qualité de l’air. En effet les pâtes à papier étant différentes et plus ou moins acides, une maîtrise draconienne de ces facteurs est indispensable à la bonne conservation des documents. À l’occasion des Journées européennes du Patrimoine, l’équipe de la médiathèque Verlaine propose des visites guidées de ses exceptionnelles réserves. La première est la réserve précieuse, qui conserve les pièces les plus éminentes et extraordinaires telles que les manuscrits autographes ou originaux. La deuxième est la réserve patrimoniale, qui regroupe principalement diverses éditions. Contrairement à la dernière réserve, la réserve de conservation, ces deux réserves s’avèrent toutes deux inaliénables et pérennes. Alors que la réserve de conservation s’attache à préserver des documents ou ouvrages présentant un intérêt que seules les années pourront ou non entériner.

Entrée-de-la-médiathéqueLe département Patrimoines de la médiathèque Verlaine a à cœur de promouvoir et faire découvrir toutes les facettes de Verlaine, mais également celles de nombreuses autres figures messines ou liées à la Lorraine. Ainsi, la médiathèque tend depuis plusieurs années à privilégier les supports numériques afin de toucher tous les publics et bénéficier d’une plus large audience. Elle numérise certaines œuvres, déploie un site internet très fourni (http://bm.metz.fr/iguana/www.main.cls?surl=accueil) ainsi qu’un blog ; investit les réseaux sociaux ou partage quelques-unes des ses publications dont notamment sa revue Les Carnets de Médamothi (http://fr.calameo.com/accounts/657934).

Entrée de la médiathéque Paul Verlaine, Metz. Crédit photo : Karen Cayrat (2017)

Outre les supports numériques qui constituent un enjeu majeur pour le fonds Verlaine, les rencontres, conférences, et événements participent de même à sa mise en valeur. En guise d’exemple s’était tenue en 2014, l’exposition « Et maintenant, aux Fesses ! » sous l’impulsion de la médiathèque. Une exposition originale et sensuelle qui donnait à voir pour la première fois les éditions érotiques illustrées de Verlaine qui couvrent environ 25 % du fonds Verlaine. À cette occasion se côtoyaient art, poésie et musique afin de dévoiler un aspect méconnu de Paul Verlaine (1844-1896).

Comme le souligne Nicolas Jourdan, il existe une multitude d’axes d’exploration pour s’immerger au coeur du mythe que Paul Verlaine a su se construire ou pour aborder ses œuvres. C’est pourquoi la médiathèque continuera à enrichir le fonds Verlaine d’acquisitions nouvelles et protéiformes, tout en s’efforçant de valoriser les écrits et la figure du poète grâce à sa communication, ses publications et aux multiples projets qu’elle développe.

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Le fonds Gustave Kahn

(médiathèque Verlaine, Metz)

D’autres fonds littéraires plus confidentiels, trouvent également refuge au sein de la médiathèque Verlaine. Ainsi l’un d’eux se consacre-t-il à la figure de Gustave Kahn. Poète, critique et fervent admirateur de Paul Verlaine, Gustave Kahn (1859-1936) reste, en dépit de son œuvre protéiforme et de ses combats, encore assez méconnu.

Le fonds qui lui est dédié comprend de nombreux manuscrits autographes d’œuvres, études, chroniques, critiques littéraires, allocutions, ainsi que des carnets de notes et des inédits de l’auteur des Palais nomades (1887) comme Les Baisers courent d’un vol, à travers l’espace, à travers l’absence. La plupart des pièces sont issues de legs du poète, mais aussi de donations notamment de son petit-fils, Jacques Boutet, ou de son amie et sculptrice Anna Bass, qui réalisa à sa mémoire un buste qui se laisse aujourd’hui contempler sur le parvis de la synagogue de Metz, au square Gustave Kahn.

En 2010 le fonds était étoffé de nouveaux documents comprenant entre autres des lettres et discours. Ces documents sont témoins de l’adoration de Gustave Kahn pour Paul Verlaine et de son implication au sein de la Société des amis de Verlaine qu’il présidait. Gustave Kahn a de son vivant mené moult actions en hommage à l’auteur des Poèmes Saturniens (1866) comme la commande et l’inauguration du buste réalisé par James Vibert en mémoire sa mémoire, situé à la lisière de l’Esplanade, boulevard Poincaré.

Ainsi l’exploration du fonds Gustave Kahn complète-t-elle efficacement celle du fonds Verlaine. Les allocutions, discours et lettres que possède la médiathèque le prouvent et soulignent les conceptions poétiques divergentes de ces deux figures messines.

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Le fonds Émile Moselly

(bibliothèque Stanislas, Nancy)

Les manuscrits, épreuves raturées, carnets, cahiers inédits et photographies d’Émile Moselly (1870-1918), sont aujourd’hui conservés au cœur de la bibliothèque Stanislas de Nancy qui depuis 2007 s’est vue confier par Jean-François Chénin, petit-fils de l’auteur de Terres Lorraines (1907), ces documents précieux. Ces documents concernent d’une part la vie professionnelle et d’autre part la vie littéraire de l’écrivain, ce qui permet de mieux cerner sa personnalité tout en explorant les méandres de son processus d’écriture.

Pour faire connaître la richesse des manuscrits dont elle dispose, la bibliothèque Stanislas de Nancy mise sur une politique de valorisation principalement axée sur l’organisation d’événements et d’expositions. Celles-ci ont généralement lieu tous les deux ou trois ans et se ponctuent de « Petite Expo » portant sur des thématiques bien définies et renouvelées tous les deux mois. En 2011, se déroulait ainsi une « Petite Expo » intitulée « Moselly : un Lorrain de cœur » qui visait à faire connaître davantage ce chantre des paysages lorrains. Plus récemment, en 2015 à l’occasion du Livre sur la Place se tenait « Place des manuscrits », exposition qui mettait à l’honneur auteur-e-s et territoire lorrains, grâce à une kyrielle de collaborations et de prêts. Il était alors possible pour le public d’admirer un grand nombre de manuscrits provenant à la fois des différents fonds littéraires de Lorraine, mais aussi des archives de certains auteurs contemporains, soulignant ainsi le caractère intemporel et ambigu du manuscrit au fil des siècles. Les épreuves corrigées de Fils de gueux (1910), roman d’Émile Moselly, particulièrement originales et ornées d’annotations figuraient parmi les pièces phares de l’exposition. La bibliothèque Stanislas de Nancy organise régulièrement des rencontres « Une heure avec » et a à cœur de faire découvrir ses fonds grâce aux articles de son carnet de recherche Épitomé (http://epitome.hypotheses.org/).

En somme, lesinstitutions de conservation , véritables garantes de notre patrimoine littéraire comme en témoignent les fonds Verlaine, Kahn ou Moselly, ne cessent d’évoluer et de se réinventer en vue de porter et valoriser toujours davantage les œuvres et les figures de leurs auteur-e-s. À l’ére du numérique, elles multiplient les supports, les événements et rencontres, afin de répondre au mieux à la passion qui anime aussi bien spécialistes que grand public.

Outre les fonds spécialisés présentés au sein de cet article, les médiathèques Verlaine et la bibliothèque Stanislas recèlent bien d’autres trésors… La médiathèque Verlaine possède ainsi d’autres manuscrits littéraires et autographes, notamment de Maurice Barrès, mais également des textes d’auteurs lorrains contemporains ou résidant en Lorraine, ou encore un riche fonds de manuscrits médiévaux ou modernes. Quant à la bibliothèque Stanislas, elle accueille en sus le fonds Robert Honnert ainsi qu’une collection d’une grande richesse dédiée à l’histoire locale. En ce sens, ces institutions apparaissent bel et bien comme des points d’ancrage sur lesquels la vie littéraire s’appuie pour mieux se déployer.

Pour aller plus loin : Quelques fonds littéraires en Lorraine

Manuscrits de Maurice Barrès, de Moselly, ou de Robert Honnert à Nancy.
Manuscrits de Gustave Kahn à Metz.
Bibliothèque du Cardinal de Retz à Saint-Mihiel.
Manuscrits d’Erckmann-Chatrian à Phalsbourg.
Manuscrits d’Yvan Goll ou de Maxime Alexandre à Saint-Dié.

Références

Kahn G., 1887, Les Palais nomades, Paris, Tresse et Stock.
Moselly É., 1907, Terres Lorraines, Paris, Plon-Nourrit et Cie.
Moselly É., s. d., Fils de gueux, Paris, P. Ollendorff.
Szafranski P., 2013, « Un jeu d’épreuves de Fils de Gueux, roman d’Emile Moselly », Genesis, 37, pp. 114-148. Accès : http://genesis.revues.org/1239.
Verlaine P., 1866, Poèmes Saturniens, Paris, A. Lemerre.
Verlaine P., 1895, Confessions, Paris, Publications du « Fin de siècle ».

Le Village du Livre de Fontenoy-la-Joûte

C’est en Meurthe-et-Moselle, à la lisière des Vosges et à quelques encablures de Baccarat, la fameuse cité du cristal, que se situe l’un des quelques villages du livre présents en Europe, dans la charmante commune de Fontenoy-la-Joûte. La création de ce village du livre remonte à 1996. Elle fait suite à une politique de redynamisation du territoire et s’inspire d’un concept singulier et novateur, puisant ses racines dans le terreau fertile du Pays de Galles, où une idée unique vint surprendre Richard Booth, bouquiniste de profession, dans les années soixante. Celle de fédérer différents professionnels du livre et d’introduire un commerce de livres anciens et d’occasion dans un cadre à la fois rural et authentique, lui permettant de disposer d’un volume de stockage conséquent. Sa mise en œuvre se soldera par une réussite qui séduira par-delà les contrées et se développera au-delà des frontières.

Aujourd’hui on dénombre une centaine de villages du livre à travers le monde, une vingtaine jalonne l’Europe et six d’entre eux ponctuent notre hexagone. Parmi lesquels, la réputation du village du livre de Fontenoy-la-Joûte n’est plus à faire en Lorraine. Chaque année, ce sont une myriade de visiteurs, venus de la région ou de l’étranger, qui s’y aventurent dans l’espoir d’y trouver l’ouvrage qui saura les combler, ou de participer à la pléthore d’événements que l’association fondatrice « Les Amis du Livre » se fait un plaisir d’organiser. Ces derniers, toujours riches en découvertes et en partage, rythment les saisons. Ainsi, l’année 2018 sera notamment marquée par la traditionnelle édition du grand déballage de printemps qui se tiendra en avril, la 12e édition de la foire européenne du livre et des vieux papiers qui se déroulera en août ou encore la 10e opération déstockage qui fera le bonheur des curieux les 29 et 30 septembre prochain.

L’objectif premier de ce village du livre est de rassembler amateurs et professionnels autour de livres, documents et curiosités éclectiques, qu’il s’agisse de revues anciennes, d’affiches, de buvards, de négatifs ou photographies, de littérature blanche ou noire, d’ouvrages spécialisés, de beaux livres, ou autres publications perdues dans les affres du temps, tous sont pétris d’un certain parfum d’antan, ceci en vue de favoriser l’échange et la convivialité. Les mots y sont à l’honneur ; si le village compte près d’une dizaine de bouquinistes, ces derniers ont le sens de l’accueil et sont animés par une véritable passion. Ils ont à cœur de conseiller au mieux et d’accompagner les visiteurs dans la recherche d’ouvrages particuliers, insolites ou en lien avec leurs sensibilités ou intérêts.

Outre la lecture, l’écriture participe également aux multiples chapitres qui forment l’histoire de Fontenoy-la-Joûte. En effet, ouverts à toutes et à tous, des ateliers d’écriture et concours de nouvelles y sont fréquemment organisés. Ils permettent l’exercice ainsi que l’émergence de nouvelles plumes tout en suscitant de nouvelles vocations, dans une atmosphère conviviale et chaleureuse. Ainsi depuis 1997, soit un an après la création du village, des concours d’écriture s’y déroulent. Si ce concours avait pour vocation première de célébrer chaque année un auteur reconnu, ses sujets ont désormais évolué et n’hésitent plus à se mêler à d’autres arts. Ce concours annuel comporte deux catégories. L’une dédiée aux individuels, jeunes et adultes, l’autre aux collectifs, classes, participants à des ateliers, membres de clubs d’écriture. Les formats courts sont privilégiés, et en particulier la nouvelle. Néanmoins, d’autres genres littéraires peuvent être sollicités tels que le poème, la pièce de théâtre…. Son jury se compose généralement de gens de lettres, professeurs, libraires ou bibliothécaires. La 21e édition du concours portera sur la sculpture.

En somme, c’est dans un cadre bucolique et de charme que l’histoire du village du livre de Fontenoy-la-Joûte se poursuit d’année en année. Ode au partage et à la découverte, à la lecture comme à l’écriture, il a su s’adapter au fil du temps pour susciter toujours davantage la curiosité de chacun, devenant une véritable institution en Lorraine et probablement l’une des plus atypiques librairies à ciel ouvert.