CRÉATION
LITTÉRAIRE
ET
TERRITOIRES

Création littéraire et résidence d’écrivain
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La création littéraire en Lorraine peut prendre des formes diverses. Elle s’actualise notamment dans des dispositifs de résidence d’auteurs (lcdpu.fr/livre) qui en instituant du vivre-ensemble visent à favoriser la démocratisation culturelle par le biais de dispositifs de médiation participatifs au sein d’une relation triangulaire : écrivain, publics, institutions culturelles.

Les médiations culturelles désignent en fait les stratégies d’action culturelle centrées sur les situations d’échange et de rencontre entre les publics et les milieux culturels et artistiques.

« Se focaliser sur le phénomène de médiation, c’est mettre l’accent sur la relation plutôt que l’objet. »

Jean Caune, La Démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble, PUG, 2006, p.132.

Perspectives

Il s’agit ici de mettre en perspective, à travers une approche comparée en cours de réalisation, les formes de la création littéraire via le dispositif résidentiel, en fonction de 3 zones géographiques spécifiques :

  • le territoire lorrain
  • le territoire de la Grande Région (Sarre, Rhénanie-Palatinat, Wallonie, Luxembourg et Lorraine)
  • la province de Québec.

ESSAI DE DÉFINITION

La résidence d’auteur se définit comme un dispositif culturel spécifique fondé sur un couple un « entre-deux », c’est-à-dire une structure d’accueil (association, collectivité, institution…) et un auteur, en vue de réaliser un projet d’action littéraire en lien avec des publics visés et en fonction d’un modèle.
En tant que dispositif, procédant d’une demande sociale et politique qui émane très souvent des collectivités territoriales, la résidence apparaît comme une entité hybride dans la mesure où doivent en règle générale se combiner deux éléments essentiels dans une temporalité restreinte : création littéraire et activités de médiation autour de la littérature contemporaine. Faute d’un cadre réglementaire ou d’un statut, la résidence d’auteur est de nature polymorphe, marquée par une grande hétérogénéité (résidence individuelle/collective, pérenne/éphémère, fixe/itinérante…).

Toute résidence d’auteur se construit à partir d’une combinatoire de catégories normalisées mais cependant fluctuantes et extrêmement diversifiées :
• une territorialité, un lieu (un château, un phare, un appartement en ville, à la campagne…),
• une temporalité (d’un mois à une année),
• une structure-accueil (institution publique, structure culturelle, association…),
• des financements (publics/privés/partenariat),
• un projet de création littéraire déterminant l’œuvre produite par l’auteur-résident et un projet de médiation culturelle qui prévoit une liste d’activités autour de l’auteur destinées au public.

Ce type de résidence opère et institutionnalise une distinction temporelle établie par le CNL en réservant un pourcentage de temps à la création et un pourcentage aux actions culturelles ou littéraires. Son organisation doit permettre à l’auteur-résident de consacrer au minimum
70 % du temps à son projet d’écriture
30% maximum aux rencontres littéraires, aux médiations autour de son œuvre.

Murielle-Mayette-HoltzEntretien

Extrait d’un entretien accordé par Murielle Mayette-Holtz, Directrice de la Villa Médicis (Rome) à Carole Bisenius-Penin (juillet 2017).

Face à cette mythologie de la Villa qui imprègne fortement les discours de différentes sphères (journalistique, politique, culturelle…), en tant que modèle originel de la résidence, quelle est actuellement la fonction de la Villa Médicis ? Ses missions ?

Murielle Mayette-Holtz : La Villa Médicis est une ambassade culturelle française à l’étranger. Créée en 1666 par Louis XIV, l’Académie de France à Rome – Villa Médicis a pour mission fondatrice et centrale l’accueil d’artistes et de chercheurs pour leur permettre de poursuivre leurs travaux, études et recherches. Elle possède ainsi trois fonctions principales.

La mission Colbert qui est son essence même, mais qui ne peut se suffire à elle-même, c’est à dire un lieu d’accueil d’artistes fermé sur lui-même, une résidence, car la question de sa pérénité se poserait beaucoup plus cruellement. La mission Colbert a comme vertu aussi de permettre aux artistes de se croiser. En effet, les rencontres me semblent essentielles pas seulement pour la discussion, mais aussi pour la porosité des disciplines qui ne fait que s’accentuer dans la création, à l’instar des arts plastiques par exemple qui mixent les disciplines. Cela est également valable pour l’écriture littéraire. Cela me semble la première fonction de la Villa Médicis. D’ailleurs, cet aspect est fortement revendiqué par tous les artistes qui passent le concours, la possibilité offerte de rencontrer les autres pendant une année grâce à la bourse obtenue. Dans le cadre de la société de consommation dans laquelle nous évoluons, la fonction de ce lieu est, me semble-t-il, la possibilité de revendiquer le fait qu’il n’y ait d’obligation de résultats, de production obligatoire. Je revendique très fortement cette spécificité de la Villa Médicis car il s’avère particulièrement important pour un artiste, un écrivain de prendre du temps, même si cela peut être parfois compliqué avec la peur de ne pas arriver à produire ou le syndrome de la contemplation face à la beauté du site, mais après tout une année de contemplation, cela n’est pas si mal dans une vie d’artiste dans le cadre d’une résidence. Il faut de la patience pour que les artistes reçus à l’Académie de France à Rome deviennent les grands artistes de demain.

 

La mission Malraux ensuite, qui correspond à l’arrivée des écrivains en résidence en 1970, est une mission de programmation à la charge du directeur qui consistait dès sa création à mettre en place des expositions d’art. Aujourd’hui avec l’accueil des diverses disciplines (arts plastiques, littérature, musique, photographie…) les activités se sont étoffées avec des concerts, des projections en plein air, des lectures. J’ai souhaité ainsi regrouper ces diverses activités en proposant aux publics chaque année une véritable ouverture culturelle au sein de la Villa Médicis  par le biais de la rencontre avec deux artistes, grâce au dispositif des « Jeudis de la Villa ». Cela permet de faire se côtoyer les deux missions. Ainsi, dans la 2ème moitié de l’année, je demande aux pensionnaires de faire avec moi la programmation afin qu’ils puissent rencontrer les créateurs qui leur semblent particulièrement importants pour eux, ce qui permet de développer ce que j’appelle « un salon de l’intelligence ».

Enfin, la dernière mission est celle de restauration, du patrimoine. Il ne faut oublier que la Villa Médicis est une propriété française contrairement au Palazzo Farnese. C’est un site unique qu’il faut partager à travers des visites guidées ainsi que les événements culturels qui y sont organisés tout le long de l’année.

Références :

Bisenius-Penin Carole (dir.), 2014. Résidence d’auteurs, création littéraire et médiations culturelles (1). A la recherche d’une cartographie. Nancy : PUN – Éditions Universitaires de Lorraine.
Caillet Elisabeth, 2007. Accompagner les publics, la médiation culturelle, L’Harmattan, Paris.
Caune Jean, 2006. La Démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble, PUG.
Castan C., GuéraçagueM-L., 2010« Résidences d’écrivains (2) : les coulisses de la création », BBF, n° 4, p. 92-92 [en ligne] bbf.enssib.fr
Colleville N., 2010. « Résidences d’écrivains (1) : pour quoi faire ? », BBF, n° 4, p. 90-91 [en ligne ] bbf.enssib.fr
Herenguel É., 2010, « Les résidences d’écrivains en Grande Région », BBF, n° 6, p. 67-68 [en ligne] bbf.enssib.fr
Lafortune Jean-Marie (dir.), 2012. La médiation culturelle : Le sens des mots et l’essence des pratiques, Presses de l’Université du Québec.

Territoire lorrain

Résidence au sein d’un espace muséal

Maison Robert Schuman Scy-Chazelles (Moselle)

Une création commune : une résidence d’auteurs et un laboratoire hors les murs

Dans le cadre d’un appel à création partagée, l’unité de recherche de l’Université de Lorraine, le CREM (Centre de recherche sur les médiations), a souhaité développer un projet de création d’une « résidence d’auteur » et d’un « laboratoire hors les murs ». Il s’est rapproché de la Direction de la Culture du Conseil départemental de la Moselle, puis de la Commune de Scy-Chazelles et leur a soumis ce projet innovant de créer cette nouvelle résidence d’auteur dans la Maison de Robert Schuman, afin de permettre à des écrivains et des illustrateurs invités en résidence de mener à bien un projet d’écriture, ainsi qu’un projet d’animation littéraire élaboré conjointement en Moselle, étant entendu qu’est associée à cette résidence d’auteur, la création d’un laboratoire hors les murs.

Une résidence dans un espace muséal

La Maison de Robert Schuman est une demeure située dans le village de Scy-Chazelles en Moselle. Il s’agit de la résidence du « Père de l’Europe », Robert Schuman (1926-1963), héritier d’une double culture franco-allemande, dont l’engagement européen semble inscrit dans ses origines transfrontalières.

Cette maison a été restaurée par le département de la Moselle en 2004. Le site comprend également une extension muséographique abritant une zone d’exposition permanente sur la vie et l’œuvre européenne de Robert Schuman, ainsi qu’une salle d’exposition temporaire et un auditorium. Ce lieu propose en outre de nombreuses animations culturelles (concerts, spectacles, conférences…). Le site comprend ainsi la maison de ce grand amateur de littérature et son jardin. En effet, dès son plus jeune âge il se passionna pour les livres et les autographes : devenu adulte, il collectionna de nombreuses pièces rares, notamment des manuscrits d’écrivains du XVIIe siècle, comme celui écrit de la main de Montesquieu, relatant son séjour à Lunéville à la Cour du Roi Stanislas (Souvenirs de la Cour de Stanislas à Lunéville, 1747). Le Jardin des Plantes de Chez Nous appartient au réseau transfrontalier « Jardins sans limites » qui offre 23 créations paysagères à découvrir en Moselle, en Allemagne et au Luxembourg, à travers un florilège de joyaux végétaux qui se joue des frontières. En 2015, la Commission européenne a confirmé l’attribution du « Label du patrimoine européen » à la Maison de Robert Schuman. Ce label met en valeur le rôle essentiel d’un site dans la construction européenne et la diffusion des valeurs communautaires. Actuellement, seuls trois sites en France possèdent ce prestigieux label (l’Abbaye de Cluny, la Maison de Robert Schuman et le quartier européen de Strasbourg). Le site a également été labélisé « Maison des Illustres » en 2011, par le Ministère de la Culture et de la Communication.

Cette résidence d’un mois (de septembre à novembre) dédiée à la littérature contemporaine constitue un dispositif résidentiel mixte, « à projet » qui combine un projet littéraire mené par l’auteur en lien avec le territoire et un projet culturel émanant de l’institution. Grâce au soutien financier du Conseil général de la Moselle et à une subvention accordée par la DRAC assurant la rémunération de l’auteur, ce dispositif a pour objectifs de :

– Favoriser des rencontres avec divers auteurs/publics et société/université.
– Encourager la création littéraire en permettant à un auteur de développer un projet de création.
– Tisser des liens entre les différents acteurs du monde du livre et ceux d’autres disciplines artistiques, sur le territoire mosellan et participer ainsi au développement culturel de ce territoire grâce au partenariat mis en place (Maison de Robert Schuman, Université de Lorraine, Municipalité de Scy-Chazelles).
– Encourager l’écrivain et les publics à la création numérique via un blog résidentiel.
– Créer une structure innovante et encore peu diffusée sur le territoire français mêlant création littéraire contemporaine et recherche scientifique au sein de la région Grand Est.
– Lutter par la création de ce dispositif contre la précarité de l’écrivain en France, maillon économiquement le plus faible de la chaîne des différents professionnels du livre. La résidence d’auteurs en tant que dispositif culturel visant à donner les conditions et les moyens matériels à l’écrivain pour qu’il poursuive son travail de création sur un territoire, peut constituer un moyen de lutter contre cette réelle paupérisation. Ce dispositif, sorte d’ « Erasmus pour les écrivains » recommandé dans le dernier rapport de Frédéric Martel sur la condition de l’écrivain à l’âge numérique (2015) permettrait en Europe d’assurer une plus grande circulation des auteurs.

Le premier auteur accueilli est Jacques JOUET

Ecrivain polygraphe, il écrit des poèmes, chaque jour que les circonstances font (un poème par jour depuis le 1er avril 1992), mais aussi des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles et des essais. Tout en pratiquant régulièrement la lecture en public de ses textes, il réalise des collages et des travaux typographiques et collabore avec des peintres. Depuis 1983, il est membre de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle fondé par François Le Lionnais et Raymond Queneau) et participe à l’émission radiophonique Des Papous dans la tête, sur France-Culture.

Durant sa résidence automnale à la Maison de Robert Schuman, Jacques Jouet mène un projet d’écriture intitulé « Littérature collective : Poèmes adressés, création transportée » qui vise à valoriser une forme poétique (le poème adressé) et une pratique artistique ouverte à tous, en lien avec une territorialité s’actualisant sous différentes formes (un musée, jardins…). Il s’agit d’une création collective, partagée avec les habitants de Scy-Chazelles, sous plusieurs formes (envoi postal, atelier d’écriture, soirée de lecture, blog résidentiel…) et en même temps transportée, c’est-à-dire une création faite au rythme des déambulations paysagères du poète dans le village, les vignes. En fait, une façon d’appréhender la spécificité d’un territoire mosellan selon l’auteur :

« Je compose quotidiennement des « poèmes adressés » qui sont expédiés par voie postale à des inconnus, des connaissances, des amis… Souvent ces poèmes témoignent d’une présence dans des lieux que je visite à l’occasion, dans lesquels je réside en permanence ou de façon temporaire. Ils sont, pour moi, une façon de découvrir activement un lieu. C’est une activité de création que j’aime partager avec des publics locaux : je vais adresser des poèmes à des habitants de Scy-Chazelles en leur parlant de leurs décors, mais j’ai aussi l’intention de les « embaucher » dans la composition de certains de ces poèmes à mes côtés. Travaux en ateliers ouverts, avec des étudiants, des élèves, des lecteurs de bibliothèque…Certains de ces poèmes seront « paysagers », à savoir qu’ils supposent un travail in situ, sur le motif, en promenade. Le fait qu’il y ait ce « Jardin des Plantes de Chez Nous » m’intéresse particulièrement. Ces poèmes déploieront plusieurs potentialités de formes empruntées aux traditions dans un esprit de renouvellement. Ils tiennent sur la page, sont imprimés sur papier. Ils sont aussi conçus et travaillés pour la lecture en public (« restitution » collective et, pourquoi pas in situ, en plein air, en promenade, dans le festival Cabanes…) ».

Un laboratoire hors les murs : Université/Cité

Dans le cadre de ce partenariat, il s’agit de créer une délocalisation de l’université de Lorraine et plus particulièrement du CREM, sous la forme d’une unité de recherche hors les murs dédiée à la résidence d’auteurs, la littérature contemporaine et européenne sur le site de la Maison de Robert Schuman. Il s’agit d’une forme institutionnellement inventive qui consiste à déplacer les activités, réflexions, en interaction directe avec des lieux urbains au cœur de l’environnement socio-économique et culturel afin de favoriser la création de passerelles entre le monde universitaire et la Cité, théorie et pratique. Ce lieu d’interaction offre à la ville une expérience innovante, une expertise sur le dispositif résidentiel, l’accueil des écrivains, les relations à nouer avec les publics, la politique culturelle à mener dans ce cadre, tout en soutenant la création littéraire en Moselle.

L’équipe Praxitèle « Arts, cultures et médiations » du CREM est une équipe scientifique tournée vers l’analyse de la création, de sa diffusion et de ses médiations et vers la compréhension des enjeux pratiques, institutionnels et symboliques qui s’y attachent. Le périmètre des recherches menées au sein de Praxitèle recouvre la création, dont les logiques sont saisies à travers la diversité de ses contextes (espace spécifique et autonome de production, relations institutionnelles, environnement économique et industriel) pour mieux en comprendre les enjeux formels et esthétiques et la réception. Une attention particulière est portée sur le caractère mouvant de ses frontières (art/industrie, création/médiation). Les objets d’étude relèvent notamment de l’art contemporain, de la littérature, de la bande dessinée, de la photographie. L’unité de recherche s’interroge aussi sur les institutions, considérées comme des instances de médiation et de prescription pratique et symbolique (représentations, comportements et pratiques, corpus, valeurs). Les musées et les lieux d’exposition, le patrimoine, les bibliothèques sont des terrains privilégiés des membres de l’équipe.

Dans le cadre de ce laboratoire hors les murs, le CREM mène, au sein de la Maison de Robert Schuman qui met à sa disposition des espaces, des recherches portant sur plusieurs domaines (la résidence d’auteurs, la littérature contemporaine européenne, la littérature numérique et la BD, les liens entre littérature et espaces : lieux et création, musée, patrimoine…).

Création littéraire et numérique au cœur des frontières (Octobre 2017)

Durant plusieurs semaines, à la Maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles (http://www.mosellepassion.fr/index.php/les-sites-moselle-passion/maison-de-robert-schuman), l’écrivain italo-luxembourgeois Jean Portante (http://www.m-e-l.fr/jean-portante,ec,625) est accueilli dans le cadre de la deuxième année de la résidence d’auteurs in situ en Moselle. Né à Differdange, ville minière du Grand-Duché de Luxembourg, de parents italiens, l’auteur a produit plus d’une quarantaine d’œuvres (poésie, romans, essais, pièces de théâtre). Son roman Mrs Haroy ou la mémoire de la baleine lui avait valu le Prix Servais au Luxembourg. Le même prix lui a été attribué récemment pour son roman L’architecture des temps instables (2016). Membre de l’Académie Mallarmé, Jean Portante est également journaliste et traducteur littéraire (Prix Alain Bosquet pour sa traduction de L’amant mondial de Juan Gelman en 2013).

Une résidence européenne

L’œuvre romanesque de Jean Portante est parcourue de manière récurrente par une sorte de totem littéraire emblématique : la baleine qui incarne une migrante, une nomade perpétuelle. Ce mammifère marin a quitté la terre ferme, mais ayant cependant conservé son poumon, comme une mémoire, il n’est donc pas un habitant définitif de la mer. Selon lui, la baleine nage entre le « ne déjà plus » et le « ne pas encore », un territoire où la question de l’identité se met d’emblée au pluriel et où la notion de frontière se liquéfie.

En écho, la résidence mise en place à la Maison de Robert Schuman (« Maison des Illustres ») à la lisière des territoires (Allemagne, Belgique, Luxembourg), se joue des frontières et interroge l’espace créatif et culturel européen. Un lien donc évident entre l’univers littéraire de l’auteur luxembourgeois et cette résidence ouverte sur l’Europe. La création de ce dispositif culturel dans un espace muséal ayant depuis 2015 le « label du patrimoine européen » vise ainsi à offrir à un écrivain la possibilité de mener à bien un projet d’écriture et de promouvoir la diffusion transnationale des œuvres littéraires.

Outre la volonté d’instaurer un dialogue interculturel, le dispositif résidentiel élaboré a pour objectif également de favoriser des rencontres entre écrivain et publics par le biais d’activités de médiations sous différentes formes (soirée de lecture, ateliers d’écriture…), tout en privilégiant aussi une approche numérique (blog résidentiel).

Une création transfrontalière

Grâce à une bourse du Centre national du livre et une aide du département de la Moselle (dispositif « création partagée »), Jean Portante a pu explorer la thématique de la frontière non pas comme il le fait dans sa chronique journaliste « Un Monde immonde » pour la presse luxembourgeoise (http://jeudi.lu/mara-ricardo-monde-immonde/), mais sous l’angle théâtral et à partir d’une narration plus personnelle, celle de ses origines :

« Mais l’envie est là à présent de me demander, à un moment où la question des frontières est malheureusement derechef d’actualité (et avec elle la question ambiguë de l’origine et de l’identité), comment se seraient passées les choses si mon père, et avec lui, toute la famille, avait traversé la frontière ».

Autour de l’histoire d’un frontalier, sous la forme d’un long monologue intérieur rythmé par les arrêts constants de la voiture pris dans les bouchons que vivent quotidiennement les travailleurs français vers le Grand Duché, il s’agit donc pour lui, comme il l’expose dans son projet d’écriture, de revenir sur ce va-et-vient identitaire, de la terre natale méditerranéenne à celle de l’exil et du travail :

« Tous mes livres parlent de cette ambivalence. De ce passage de frontières. De ce va-et-vient. De cette réhabilitation de l’ailleurs. Je crois que je ne suis pas le seul à avoir ainsi atterri dans une nationalité apportée par le hasard. Car pour paraphraser l’écrivain uruguayen Carlos Onetti qui, en entendant de qui descendaient les gens qui l’entouraient, a répondu, quand on lui a posé la question de sa descendance que lui descendait du bateau, je pourrais dire comme beaucoup d’autres Italiens installés au Luxembourg ou en Moselle, que moi, je descends du train ».

Entre narration de soi, brouillage identitaire, recherche du passé avec ses secrets, l’écrivain interroge le territoire où il aurait pu passer son enfance, de l’autre côté de la frontière à partir de ce prisme géographique et littéraire : le Français que je n’ai jamais été, mais aurait pu être.

Des médiations culturelles

En plus de la possibilité de disposer d’un lieu et de temps de création pour un auteur, la résidence constitue aussi un moyen de mettre en place des échanges entre un écrivain et des publics. En effet, comme le rappelle Serge Chaumier et François Mairesse (La médiation culturelle, Paris, A. Colin, 2013), la médiation peut être définie comme un processus de « mise en relation avec des contenus, des œuvres, des savoirs ». Ainsi, de multiples occasions de rencontres, d’interaction ont été déployées en fonction des publics : une lecture poétique offerte à la population lors d’un salon du livre, une discussion-débat à l’école primaire autour du métier d’écrivain, des ateliers d’écriture in situ et en ligne, une soirée croisant textes littéraires, improvisations musicales et oenologie. Durant cette soirée « Vers et Verres » entrecoupées de lectures et de pauses gustatives, l’auteur a pu faire découvrir aux publics, dans la convivialité, son univers créatif et sa perception de la littérature à partir de la scénographie réalisée dans le musée autour du piano de Robert Schuman.

De la même manière, le dispositif de l’atelier d’écriture a permis aux étudiants de l’université de Lorraine et à la population (enfants, adolescents, adultes) de se frotter à la création littéraire en composant un poème à partir d’une définition (« La frontière est la limite entre deux pays ») à réinventer par le biais des changements lexicaux imaginés par les participants : « La frontière est la goutte entre deux tristesses », « La frontière est un brasier entre deux larmes ». Ces échanges au cœur de la fabrique littéraire faisant alterner écriture et lecture collective, commentaires critiques ont alimenté une pratique créative en posture dialogique avec autrui, une mise en récit de soi (Ricoeur) partagée, discutée, retravaillée puis diffusée grâce à la création d’un blog résidentiel. Ce lieu numérique qui combine divers supports (photographies, presse, créations de l’écrivain, des publics) permet également à Jean Portante de tenir son « journal de bord » qui selon François Bon « doit faire passer l’auteur qui s’y livre de l’expression de soi à l’expérience bien plus âpre du travail d’écrire ». (http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?rubrique63). Il s’agit donc du franchissement virtuel et littéraire d’une nouvelle frontière :

« Cela dit, ce journal de bord-ci est un peu spécial. Je m’y écris certes à moi-même, mais je sais de prime abord qu’il n’est pas seulement pour moi. Le pacte est différent, puisqu’il implique dès le départ des lecteurs extérieurs. C’est un peu comme si je vivais dans l’intimité, mais avec des caméras qui montreraient à autrui cette vie-là. J’évolue dans le domaine de l’intime, tout en sachant que je suis épié. C’est excitant, mais en même temps, sous l’emprise de la pudeur, je ne m’écris pas tout. Je veux dire, je ne m’écris pas tout ici. Je scinde en quelque sorte en deux mon intime. Une moitié je l’offre, l’autre je la garde pour moi-même et l’enferme, afin que personne n’y touche, dans mon carnet. Comme si j’écrivais un roman… ».(https://www.facebook.com/Jean-Portante_Scy-Chazelles-290005041499220/)

En somme, un champ d’exploration particulièrement intéressant pour le laboratoire hors les murs qui accompagne cette résidence et qui a pu analyser le dispositif du blog d’auteur comme matrice interactionnelle afin d’en saisir les enjeux informationnels et culturels.

RÉSIDENCE EN MILIEU RURAL ET NOMADISME

« LA PENSÉE SAUVAGE » (VOSGES)

Fondée en 2007 par Olivier Dautrey (ancien pensionnaire de la Comédie française), l’association La Pensée sauvage revendique l’accueil d’écrivains en campagne lorraine et la valorisation de la lecture et de l’écriture en milieu rural. L’objectif est de proposer aux auteurs une résidence de création à travers un espace nouveau, un dépaysement, une forme de déterritorialisation favorisant l’écriture et les rencontres.

Cette volonté renvoie à l’intitulé même de la résidence emprunté à l’ethnologue Claude Lévi-Strauss, à ce besoin de côtoyer le lointain, l’étranger afin de se découvrir.
Après avoir accueilli à demeure des auteurs avec le soutien du CNL, à Rochesson d’abord (Luc Tartar, Philippe Fenwick et Mathias Enard), puis dans le village vosgien de Bouxurulles, entre Charmes et Epinal (Sylvain Coher, Arnaud Friedman), le directeur de la résidence a souhaité répondre aux envies et besoins des écrivains concernant les lieux d’hébergement, en lien avec des partenaires régionaux, comme Antoine Mouton et Jacques Laurans, hébergés dans une abbaye cistercienne d’Ubexy ou Raphaël Krafft, logé dans un chalet forestier du Bitcherland en Moselle. Au gré des rencontres et des partenariats, la résidence évolue, devient nomade en délocalisant le dispositif sur des territoires différents en Lorraine.

De manière ponctuelle, l’association propose aussi des ateliers de lecture au sein de librairies ou de bibliothèques départementales en présentant textes et auteurs aux publics. D’autres interventions d’auteurs sont également menées par la mise en place d’ateliers d’écriture en milieu scolaire (Saint-Dié, Gérardmer, Mirecourt).

Missions de la Pensée sauvage

  • Placer l’écriture contemporaine au cœur des activités de la Pensée sauvage
  • Accueillir des auteurs en résidence
  • Proposer à un large public une offre variée de manifestations culturelles
  • Rendre intelligible l’existence de la résidence et le travail de l’auteur en résidence
  • Coordonner ses actions culturelles avec l’actualité et d’autres structures régionales (réseau BDP, musées, théâtres, écoles d’art, etc…)

Référence :

CLERC Adeline, 2014. « La résidence d’auteur ou comment s’inscrire dans un territoire rural. La Pensée Sauvage à Bouxurulles (Vosges) ». In : BISENIUS-PENIN, Carole (dir.), Résidence d’auteurs, création littéraire et médiations culturelles (1). A la recherche d’une cartographie. Nancy : PUN – Éditions Universitaires de Lorraine. 2014. p. 49‑60.

Résumé. – Cet article se propose d’étudier la seule résidence d’écriture conventionnée par le Centre national du livre (CNL) en Lorraine, la Pensée Sauvage implantée à Bouxurulles. Dans un premier temps, nous nous demanderons comment réinventer l’espace et le temps de l’écriture dans un milieu rural en nous appuyant notamment sur la réactivation d’une certaine imagerie auctoriale. Dans un second, nous pointerons la particularité du village de Bouxurulles et interrogerons l’avenir d’une résidence d’écriture mixte dans un espace rural.

Chambre étudiante et monde littéraire : pari osé du CROUS

Quel point commun entre une chambre cabine, le campus Lettres, la Résidence Boudonville du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Lorraine et un jeune écrivain ?

La création d’une résidence d’auteur au plus proche des jeunes.

Sous des formes variées et en l’espace de quelques années, les dispositifs résidentiels sont devenus un moyen de soutien à la création et à l’action culturelle sur le territoire lorrain.

En tant qu’outil de communication et de médiation permettant des transactions diverses entre écrivains, collectivités territoriales, opérateurs culturels et publics, la résidence offre ainsi un lieu pour demeurer, et peut-être même selon l’étymologie, de « garder la chambre ».

On peut y voir l’expérimentation originale d’« Une chambre à soi », comme une réminiscence de Virginia Woolf proposée par un établissement public en partenariat avec la Ville de Nancy et le festival Le Livre sur la Place. Pari osé ?

Le premier roman de Jérémy Fel. Editions Payot-Rivages

Une immersion en cité U

Pour la première fois, le CROUS de Lorraine héberge durant deux mois (janvier-février), un jeune auteur, une véritable plongée immersive pour Jérémy Fel.

Jérémy Fel. CROUS Lorraine

Primo-romancier, scénariste de courts-métrages, mais aussi libraire à Rouen, Jérémy Fel manie avec talent la camera obscura en livrant une œuvre qui réfléchit et explore le mal sous de multiples directions, angles d’optique.

Son roman Les Loups à leur portesalué par la critique est un kaléidoscope fictionnel addictif, une sorte de « grand puzzle feuilletonesque à l’atmosphère énigmatique et troublante entre Twin Peaks, Stephen King et Joyce Carol Oates » si l’on en croit l’éditeur, qui reflète sa passion pour la littérature américaine des grands espaces. La construction romanesque, entremêlant les chapitres comme autant de nouvelles indépendantes les unes des autres, offre une déambulation territoriale haletante du Kansas, à Annecy, en passant par la région nantaise ou l’Indiana.

Pour cette résidence, l’écrivain a donc exporté, délocalisé sa « chambre à soi » pour un studio en cité U. Si l’on se réfère au très bel essai de Michelle Perrot (Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2009), on peut dire que ce dispositif culturel lui donne ainsi l’occasion de mettre en scène à la fois son espace personnel, son intimité créative et sa chambre ouverte alors conçue comme un « salon littéraire ».

En effet, cette résidence d’animation se décline, au contact des étudiants, sous la forme d’ateliers d’écriture, de sessions de lectures commentées et de conseils de libraire (« coups de cœur littéraires ») en itinérance dans les différents sites.

Pour l’auteur, il s’agit de lutter contre un cliché, celui du génie romantique, en montrant que la création repose sur la connaissance des œuvres des autres : « J’adore conseiller des livres, pour être écrivain, il faut être avant tout pour moi un lecteur ».

Cette médiation qui prend également la forme de l’atelier d’écriture est un moyen de rassurer les jeunes en appréhendant la littérature par le collectif. Pour Jérémy Fel, « L’atelier d’écriture de type creative writing est une approche très intéressante, mais encore mal vue en France, or elle me semble particulièrement nécessaire pour apprendre certaines techniques. L’intérêt repose aussi sur la possibilité offerte de voir comment une écriture littéraire se construit. L’idée de l’échange autour du texte paraît donc très formateur pour les étudiants ».

Un désir commun

Créer du lien, partager ensemble ses envies, ses tentatives textuelles, sa création relève d’un désir commun qui regroupe trois jours par semaine Jérémy Fel et des étudiants venus d’univers différents (gestion, lettres, informatique, médecine…) qui se sont engagés à produire une nouvelle à l’issue de la résidence.

Ce désir commun repose aussi sur un partenariat institutionnel associant le CROUS et la ville de Nancy par le biais du premier grand salon national de la rentrée littéraire. En fait, cette résidence est l’occasion de mieux saisir la politique culturelle du CROUS qui en tant qu’organisme public est essentiellement connu pour ses logements, sa restauration ou ses bourses.

Outre le soutien financier apporté à la réalisation de projets étudiants dans le domaine culturel, le réseau mène des actions avec pour objectif de « développer les pratiques artistiques amateurs » et de favoriser « l’émergence de nouveaux talents ». Ainsi, pour Jean-François Tritz, chargé du Pôle communication, culture et animations du CROUS Lorraine, « la résidence constitue un moyen de renouveler la dynamique culturelle, de faciliter l’accès à la littérature qui trouve tout son sens à Nancy, en lien avec le salon Le Livre sur la Place ».

Cette manifestation littéraire dont les organisateurs militent depuis 1979 pour la promotion de la littérature, facilite la mise en relation entre le CROUS et les auteurs, notamment grâce à la médiation de Françoise Rossinot. En tant qu’opérateur et lieu de médiation littéraire, le salon qui se définit comme une fête du livre accessible à tous partage ce désir de renforcer les relations entre jeunes auteurs et publics estudiantins.

Le Livre sur la Place se tient depuis 1979 à Nancy. Actualitté/Flickr, CC BY

Une culture de proximité

Pour les partenaires, il s’agit ainsi de mettre en place une culture de la proximité cherchant à élargir les représentations et à favoriser une expérience littéraire pouvant constituer un autre modèle d’intervention publique grâce à la résidence d’auteurs.

D’après Jean-François Tritz encore, cette culture de proximité passe par « une volonté d’apporter la littérature à la sortie de la chambre de l’étudiant », tandis que pour Françoise Rossinot, Commissaire générale du salon, « l’enjeu est d’avoir accès à la culture d’une autre manière, dans le rapport immédiat à l’écrivain ».

Ce partenariat s’inscrit d’ailleurs pour elle dans les objectifs du festival qui ne se limite pas au salon de septembre, mais qui propose durant toute l’année des rencontres avec les auteurs dans de multiples lieux (prison, écoles, maison de retraite, quartiers…).

Cette proximité souhaitée dans le cadre du dispositif résidentiel nous renvoie à l’analyse de Gisèle Sapiro sur la démocratisation culturelle et plus spécifiquement sur la nécessité de retisser des liens, « de créer les conditions d’une écoute réciproque, par-delà les hiérarchies sociales ».

Sans rentrer dans les débats actuels sur la place des jeunes dans la société française, on ne peut donc que se réjouir de la création d’une nouvelle résidence d’auteurs dans la région Grand Est, soucieuse de « l’émergence de nouveaux talents » qui reconnaît la jeunesse comme une véritable ressource pouvant participer et construire le monde (littéraire) de demain.

POEMA

Acteur associatif dans la région Grand Est, POEMA cherche à déployer sur le territoire les écritures poétiques contemporaines, en proposant depuis 2014 de multiples dispositifs à la croisée des arts et des genres (spectacle vivant, art contemporain, littérature…). Par le biais de nombreux partenariats (collectivités, associations, écoles…), il s’agit de d’offrir une approche de la poésie sous des formes variées (lectures-rencontres, performances, concerts, ateliers d’écriture et des actions ciblées jeune public).

Ainsi, en collaboration avec la Médiathèque de Meurthe-et-Moselle et dans le cadre du dispositif « Auteurs associés » (DRAC Alsace Champagne-Ardenne Lorraine / Conseil Régional Grand Est) une première résidence d’auteur de 2 mois, a été mise en place en 2016 permettant de mixer création et médiations sur divers sites (Jarny, Lunéville, Toul, Pont à Mousson). Le dispositif résidentiel a permis de recevoir de Rémi Checchetto, auteur d’une vingtaine de livres de poésie et de théâtre. Son projet met en scène les paysages de son enfance lorraine et permet notamment aux publics de découvrir les portraits-poèmes.

Résidences en lien avec l’univers du livre

Sur le territoire, certains dispositifs résidentiels peuvent être pérennes, d’autres davantage éphémères s’actualisant en fonction des lieux et des périodes.

Attardons-nous à présent sur un dispositif résidentiel spécifique récemment mis en place en Lorraine et constituant une aide complémentaire visant à soutenir la création littéraire.
En effet, le Conseil régional de Lorraine et la DRAC de Lorraine en partenariat avec le CNL (Centre National du Livre), ont initié, grâce à un Accord cadre pour le développement de la filière du livre en Lorraine (2015/2016), une nouvelle forme résidentielle, celle d’« auteur associé ». Le dispositif permet aux auteurs de bénéficier d’une rémunération à travers une résidence réalisée avec un acteur de la chaine du livre publics (bibliothèques, festivals…) ou privés (librairies, maisons d’édition), un lieu du territoire lorrain, sur une période de 4 à 8 mois.

bd2Résidence Librairie Carré des bulles, éditions du Goûteur Chauve, Metz (Moselle)

Librairie dédiée au graphisme et à la bande-dessinée hébergeant une maison d’édition associative Le Gouteur Chauve, ce lieu messin atypique a accueilli en résidence le jeune bédéiste Eric Chapuis autour d’un projet portant sur le roman graphique. Intitulé « Révolution des conseils de Metz », le travail de création, explorant les rapports entre récits fictionnels et documents factuels, s’est décliné autour d’une approche fictionnelle d’un événement historique messin survenu en novembre 1918, plus précisément une révolte (conseils de soldats et d’ouvriers en Alsace Lorraine). Il a également donné lieu à des échanges avec les publics in situ et dans la ville (collège, médiathèque).

Au Carré des Bulles, des résidences pour de jeunes dessinateurs Lorrains

Au deuxième étage de la librairie au Carré des Bulles de Metz, François Carré propose des résidences pour de jeunes artistes locaux. Le dispositif « auteur associé », créé en 2015 en partenariat avec la région Lorraine, la DRAC et le Centre National du Livre, permet d’apporter un coup de projecteur original sur un jeune dessinateur. Et aussi, de redécouvrir une librairie déjà bien ancrée.

Installé devant une table posée sur des tréteaux, penché sur son Mac, Charlie Zanello peaufine ses dessins. Il affine un trait par-ci, en ajoute un autre par-là. Son projet de roman graphique avance bien, le fruit de nombreuses heures passées dans cet atelier. Son « bureau », comme il l’appelle, est un grand open space situé au deuxième étage de la librairie au Carré des Bulles, à Metz, consacrée à la bande dessinée et aux arts graphiques. Depuis octobre, Charlie y fait une résidence d’artiste. Il a jusqu’au mois de mai 2017 pour travailler sur un projet original, en échange d’une subvention accordée par la région.

C’est grâce à François Carré, le propriétaire de la librairie, que le jeune dessinateur Lorrain a pu bénéficier de ce dispositif. Depuis son nouveau « bureau », on entend François conseiller quelques clients de la librairie, en bas. Béret sur la tête et lunettes rondes sur le nez, François Carré est un homme qui invite au partage et à l’échange, qu’il a toujours privilégié avec les clients.

Des Apéros Graphiques au dispositif « auteur associé »

Dès juillet 2008, quelques mois après l’ouverture de sa librairie, il lançait les Apéros Graphiques. Tous les vendredis soirs, de 18 heures à 20 heures, les dessinateurs en herbe et amateurs sont invités à dessiner autour d’un thème imposé. « Je voyais défiler beaucoup d’étudiants des Beaux Arts et des Arts Plastiques, je me suis dit que ce serait bien d’en profiter et d’en faire quelque chose », explique-t-il. Avec les Apéros Graphiques, François Carré découvre alors « différentes petites perles de la région », et les voient évoluer année après année. La plupart sont d’anciens étudiants de la région, et certains sont édités dans des revues, comme Fluide Glacial.

Pour lui, ces « petites perles » valent le coup d’être vues par un plus large public. Avec deux autres collègues, ils créent donc leur propre maison d’édition, Le Goûteur Chauve. Avec leur collection « Mise en Bouche », ils permettent ainsi à ces petits auteurs méconnus de s’essayer à une BD d’une vingtaine de pages, pour la montrer à un plus gros éditeur « et mettre le pied à l’étrier. »

Mais pour lui, ce n’est toujours pas assez. Le libraire veut davantage les aider, mais comment ? C’est alors qu’il repense à son atelier, au deuxième étage de la librairie, qui est inoccupé la plupart du temps. Pourquoi ne pas le mettre à la disposition d’un jeune auteur ? La résidence était née, grâce au dispositif « auteur associé ». Elle a pour objectif de soutenir la création par des bourses de résidences destinées aux auteurs s’associant avec une structure de la région Lorraine, sur une période de 4 à 8 mois.

 

 Le dispositif « auteur associé »

Une cohabitation enrichissante

Les candidats sont sélectionnés par un comité composé des membres de l’association le Goûteur Chauve, d’un représentant d’un distributeur de beaux-livres et de Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial et dessinateur de la région. Avec son projet de montrer Metz sous 1918, c’est le dessinateur Eric Chapuis qui bénéficie du dispositif en premier, en octobre 2015. Charlie Zanello l’a depuis peu remplacé. Avec une subvention de 1 500 € par mois par la région et la Drac Lorraine, ils ont un accès illimité au deuxième étage de la librairie, pour travailler.

Présentation des résidents

« Le résident a les clés de la librairie, il peut venir quand il veut. C’est vraiment une opportunité pour lui de se plonger dans son travail », précise le libraire. En échange, le résident doit animer une fois par semaine des ateliers pédagogiques dans des établissements scolaires.

Interventions scolaires

De temps en temps, François monte voir son « colocataire ». Si cette cohabitation d’un nouveau genre lui permet de mieux faire connaître la librairie, elle lui apporte surtout la satisfaction de pouvoir aider un jeune auteur. « C’est plaisant de voir évoluer son projet. Pour le moment ce ne sont que des planches de dessins, mais nous savons qu’elles deviendront quelque chose. Il y aura bientôt des livres qui auront été créé au sein de ma librairie, c’est chouette », se réjouit le propriétaire.

Ce que ça rapporte

Juliette Redivo et Romane Mugnier

Résidence Festival les imaginales Epinal (Vosges)

Cette résidence s’adosse à l’un des plus grands festivals du livre de l’Est de la France, l’un des premiers salons internationaux de littérature d’imaginaire (fantasy, héroïque fiction, science-fiction, contes…) également connu pour mobiliser un public jeune. Durant 8 mois, l’auteur Charlotte Bousquet a pu travailler à l’élaboration de son roman en gestation, une « fantasy barbaro-mauresque », tout en participant à de nombreuses rencontres (école, collège, lycée, médiathèque, librairie, festival) de la Région Grand Est (Alsace, Champagne-Ardennes, Lorraine). Interrogée sur le dispositif, l’écrivaine souligne l’intérêt d’être implantée sur un territoire et d’être dégagée des obligations de la vie quotidienne grâce au soutien financier apporté :

Ce projet me permet d’écrire en étant rémunérée, dans un genre littéraire que j’apprécie et dont j’ai dû me détourner, au moins dans le domaine adulte, pour des raisons financières. Quand on vit de sa plume, il faut faire des choix… Le projet auteure associée me permet justement de mener à bien un projet ambitieux sans me préoccuper des contraintes habituelles auxquelles je suis soumise : c’est merveilleux !