Déambulation poétique

Pierre-Luc Landry
Collège militaire royal du Canada
CA-K7K 7B4
Pierre-Luc.Landry[at]rmc.ca

Déambulation poétique.
Sentier des lanternes


Metz, 1er décembre 2016

Des garçons dans la lumière bleue. Cols de fourrure. Qu’ils n’avancent plus, qu’ils se jettent sous mes yeux pour que je m’y blottisse, à l’abri des familles bébés poussettes, plutôt me jeter dans la Moselle noire, reflets orangés.
La pierre, les excréments de pigeons, le froid qui claque là où l’histoire étouffe foisonne — fascination.

Trois enfants de lumière accroupis dans les rosiers pétrifiés sous un sapin qui penche, déraciné, déposé là pour l’occasion, pour la féérie, pourtant les cloches de la cathédrale les comptines ces papas qui sifflotent et plus loin les bruits mécaniques que l’on ne peut attribuer à rien il faut imaginer minuit le calme les cris au loin quelque chose qui coule au fond de la rivière le drame toujours une violence tout d’un coup l’horreur.

Le sexe chaud dans la nuit glaciale.

L’écume avance sur l’eau à bonne vitesse.
Un cadavre y flotte.

Un peu perdu seul les doigts gelés le nez qui coule les sens aux aguets même si complètement seul les sens aux aguets et seul et fermé au réel au préhensible à l’explicable je n’ai rien vu rien entendu j’habite cet espace où le sens du monde s’est échappé.

Partout des bras de Moselle partout le monde c’est ici qu’il faut vivre mais il est impossible de tout recommencer.
On a aussi envie de mourir ailleurs, c’est partout la même chose — Vigipirate.
Un bébé éclate en sanglots.
Boîte à musique.
La ballerine a sauté à l’eau.
Il fait un temps idéal pour être heureux.

Des histoires se jettent devant moi pourtant je ramène tout à cela, à la douce blessure du cœur, au pincement au ventre, à l’envie de pleurer doucement, à Noël, au froid — mon amour.

Les pas, les pavés.
La solitude.
L’ombre projetée loin devant moi. Noir sur mauve. J’avance lentement, la gorge nouée.

 

Géolocalisation

Au pied de la cathédrale devant le pont de la rue Paul Tournow. « Ici est tombé le 20 novembre 1944 pour la libération de Metz Sean Hoersen des forces françaises de l’intérieur. » Paul-Otto-Karl Tornow est né à Sulęcin, dans la voïvodie de Lubusz d’aujourd’hui, en Pologne, la Prusse de l’époque, etc.
Renault.
Fiat.
Citroën.
BMV.
Deux femmes malvoyantes, cannes blanches, lanternes en mains — un souvenir de la soirée.
Camille, un autre souvenir.
« La jeune fille aux cheveux blancs » à vélo dans l’hiver lorrain, Place de Chambre, du givre dans les cheveux.
Puis un autre encore : les parents émerveillés devant l’Europe comme un rêve. « Je voudrais tellement y retourner » qu’elle me dit, maman, j’ai envie de pleurer.
Une femme avec une courge traverse la rue.

Écrire sur la pierre.
Parking de la cathédrale.
Écrire nulle part.

Place Jean-Paul II, le dernier appartement de Cameron avant mon départ — il en a eu d’autres, c’est moi qui suit parti. Intérieur manoir et les escaliers qui craquent. Comme chez Stefania aujourd’hui, en bas, rue du Champé, mais nous ne sommes pas là.
Plutôt : le Bar à la lune, mon premier verre, le début et la fin du monde, comme on en vit chaque jour.
Un géant grille une cigarette.
La grande roue arrête, redémarre.
Une femme agite la main en direction des voitures qui quittent le stationnement du marché couvert.
Si je me pose je gèle et je meurs.
Une baguette. Des conversations.
Il faut savoir exister un peu.

Gendarmes.
Chagall.
Place de la Mairie il fait au moins un peu plus chaud.
Les flammenküche et puis tout le reste qui me ramène à Berlin, Potsdamer Platz, la canelle, puis Tallinn et Copenhague — il n’existe plus de lieu.

Nougat bretzels escargots glühwein pâte de fruits beignets churros soupe d’orange aux épices de Noël.
Sous les lumières c’est la fête.
Le 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida.

Place d’Armes, sur la nappe rose un marron écrasé dans une flaque de vin chaud.
Un feu de bois, le bar à choux, des baklavas.
Galettes de poisson.
Manger et manger et manger encore jusqu’à l’explosion c’est comme le sexe les bites magnifiques tous ces hommes autour qui ne fouleront jamais mon corps.

Près du feu elle grille une cigarette et boit un coup, cheveux bouclés, air blasé, cette femme c’est moi dans une autre vie c’est moi tout de suite les pieds transpercés par le froid dans mes chaussures vieilles de cinq ans déjà comme la dernière fois où je suis venu ici à Metz mon amour je vais mettre le feu pour me réchauffer enflammer m’enflammer brûler jusqu’à la fin ce qu’il y a à brûler.

Je suis incapable de faire sens de ce qu’il s’agite autour.

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