Fabienne Jacob
Née le 25 novembre 1959 à Créhange.
Fabienne Jacob passe les 17 premières années de sa vie à Guessling-Hémering. Elle y parle le Ditsch, sa langue maternelle, jusqu’en classe de 6ème, époque à laquelle elle s’efforce de l’oublier pour ne parler qu’en français.
Après ses études, elle devient enseignante à Mayotte avant de s’installer à Paris, où elle vit encore aujourd’hui. Après avoir réalisé divers métiers, parmi lesquels elle écrit pour plusieurs journaux, Fabienne Jacob décide de vivre de sa plume. Elle publie son premier roman, Les après-midi, ça devrait pas exister, en 2003. Nommée à deux reprises au prix Fémina, elle est aujourd’hui l’auteure d’une œuvre romanesque dont elle tire l’inspiration de son enfance, du corps et des sensations.
Bibliographie
Roman
Les Après-midi, ça devrait pas exister (2003)
Des louves (2006)
Corps (2010)
L’Averse (2012)
Mon âge (2014)
Les Séances (2016)
Citation
« Le Platt, a été ensevelie sous plusieurs sédiments de français mais au fond de moi, elle a toujours continué d’irradier comme un diamant noir. Je la soupçonne même d’être à l’origine de mon écriture. La matrice. Le français était la belle langue lisse, liquide et élégante que parlaient d’abord les maîtresses de l’école de Guessling, mon petit village mosellan non loin du bassin minier de Faulquemont. Puis il devint la langue des filles et fils d’ingénieurs de la mine au lycée, ceux qui avaient l’assurance et la désinvolture des gens bien nés. Ceux qui mangeaient des avocats et des huîtres, quand moi-même j’ignorais encore tout du mot et de la chose. Quiconque ne parlait pas cette langue s’exposait à être un “plouc”. Pire, un Schleuh. Du fait de cette stigmatisation, le Platt était la langue de l’humiliation et de la honte. Celle qui, par ses sons rudes et gutturaux, vous reléguait ad vitam aeternam vers votre fossé de purin atavique, celui qui coulait devant le tas de fumier de votre village-rue avant que la loi les interdise. Bien sûr quand j’étais enfant, cette analyse de la langue comme outil de classe m’échappait, mais des processus inconscients devaient être à l’œuvre car j’ai vite compris ce qu’on essayait de me faire comprendre, que le Platt serait un moins et non un plus pour qui voulait grimper dans l’ascenseur social ! Mon application de bonne élève et mon goût pour les mots et les histoires ont fait le reste. Je parle aujourd’hui un français sans faute et sans accent. Mieux, je suis devenue une “professionnelle” puisque je suis devenue écrivain dans cette langue admirée et convoitée. En un mot, la revanche de la fille de ploucs sur les filles d’ingénieur ! Ce statut de transfuge ne va pas sans culpabilité. De la transfuge à la traîtresse il n’y a qu’un pas… Ma trahison est triple. Géographique, (j’habite Paris), sociale, (je vis dans un milieu cultivé) et linguistique (je parle français). Le traître a toujours la double honte, collée aux basques, devant ceux qu’il a trahis, les siens, et ceux pour qui il a trahi. J’ai compris depuis peu que cette triple trahison avait fondé mon écriture.
Après trente ans passés en immersion quasi-totale loin de mes origines, je les ai refoulées. Question de survie à un âge où l’on veut se fondre dans la moyenne, où l’on ne veut rien voir qui dépasse, ni personnalité, ni langue. Aujourd’hui j’aime et revendique ce qui dépasse ! Mes origines remontent à la surface, les bulles d’un cadavre dont j’aurais voulu me débarrasser. On n’en finit pas avec les morts. »
Source : Da Dòda (le jaune d’œuf), texte réalisé au cours d’une résidence au Moulin de la Blies.
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